top of page

Guillaume Laidain - Les pierres de Frontenac

Résidence du 6 janvier au 31 mars 2020 - Les pierres de Frontenac (Frontenac, 33)

L'entreprise Les pierres de Frontenac est spécialisée dans l’extraction et la transformation des pierres de Frontenac (la pierre de Bordeaux). Elle façonne aussi des calcaires, marbres et granits du monde entier à destination des professionnels et particuliers. Située à Frontenac en Gironde, à environ 45 kilomètres de Bordeaux, c'est une entreprise familiale qui a su traverser les décennies tout en s’adaptant aux nouvelles technologies pour devenir la première carrière d’Aquitaine. Les challenges sont sa spécialité. Plus le problème technique est compliqué, plus il est intéressant !

Les pierres de Frontenac compte aujourd’hui une trentaine de collaborateurs, dont neuf en études et direction, et une vingtaine de techniciens et ouvriers. 

À partir de ce contexte Guillaume Laidain imagine la création d'une œuvre sonore s’appuyant sur le quotidien auditif de l’entreprise, des chantiers d’extractions dans les carrières de pierre, notamment leurs nuisances, pour en révéler ses potentialités musicales. Son projet investit également des formes plastiques, s’inspirant des matériaux travaillés par l’entreprise. Il prend la forme d’une installation, une mise en espace sonore.


Cette résidence donnera lieu à plusieurs temps de restitution. En premier lieu sein de l’entreprise, puis à La Fabrique Pola à Bordeaux.

Ce projet reçoit le soutien du programme "Résidences d’artistes en entreprises : programme 2019 - 2020"  du Ministère de la Culture - DRAC Nouvelle-Aquitaine. Co-production Ensemble Un.

Abrasive - Guillaume Laidain
Œuvre électroacoustique réalisée pour une installation sonore

Phonographie à la scie

La taupe a la capacité de saisir une secousse terrestre de quelques hertz. L’éléphant, celle d’écouter les nuages. Comme l’a mis en évidence une expérience menée par la chaîne de télévision britannique BBC Earth, les pachydermes sont en effet à même de percevoir les infrasons générés par le mouvement des cumulus dans l’atmosphère, et soupçonne-t-on, de déterminer ainsi leur orientation lorsqu’ils migrent à la recherche d’un point d’eau. Quant à l’espèce humaine, son champ auditif se cantonne à des fréquences comprises entre 20 Hz pour la plus grave et 20 000 Hz pour la plus aiguë. Une étendue relativement restreinte en regard de celle allouée à d’autres mammifères. Pour autant, cette gamme sonore fourmille de vibrations acoustiques de différents ordres. Il y a les bourdonnements pour ainsi dire imperceptibles, les bruits légers et lointains, les étouffés et les sourds, les cristallins, les feutrés et les métalliques, les familiers, les insolites ou les monotones, les ternes, les continus, les apaisants et les enivrants. A contrario, il y a les sonorités qui éclatent et pétaradent avec leurs cohortes assourdissantes et infernales tour à tour barbares, éprouvantes, douloureuses, tonitruantes ou funestes. Guillaume Laidain s’intéresse à celles qu’on n’entend pas ou qu’on ne veut pas entendre. Dans cette dernière catégorie s’engouffre le spectre de la vie moderne : les nuisances sonores. 

Invité par Zébra3 dans le cadre du programme « Résidences d’artistes en entreprises » *, l’artiste plasticien sonore s’est immergé dans le quotidien des Pierres de Frontenac situées dans l'Entre-deux-Mers. Durant trois mois, de janvier à mars 2020, ce natif de Soyaux en Charente a côtoyé les salariés de l’entreprise familiale spécialisée depuis 1965 dans l’extraction et la transformation de cette pierre dont sont fait nombre de monuments et de façades bordelaises : la pierre de Bordeaux, de son véritable nom le calcaire à Astéries. 

Dans le décor lunaire de cette carrière basée à 45 km de Bordeaux, les blocs de roche pesant plusieurs tonnes sont extraits puis façonnés dans un ballet mécanique engageant des engins de toutes sortes. Parmi eux, il en est un dont la nécessité hurlante surpasse sans doute tous les autres : la scie circulaire. Intrusif et abrasif, son insoutenable vacarme contraint les ouvriers à s’équiper de bouchons d’oreilles surmontés de casques anti-bruit. Une protection auditive qui les installe dans une autre dimension… Laquelle intrigue et fascine le diplômé de l’école des Beaux-Arts de Grenoble et du conservatoire de Bordeaux en électroacoustique. 

« Tout bruit écouté longtemps devient une voix », disait Victor Hugo. Et avec lui, l’idée qu’un son perçu longuement, au cours d’un espace-temps répété, étendu, durable voire permanent entraîne avec lui une forme de mutation quasi ontologique : celle du distant au familier, celle de l’inerte au vivant. A partir des sons produits par les différentes scies circulaires présentes sur le site de Frontenac, Guillaume Laidain a imaginé une pièce sonore guidée par l’intention initiale de renverser le saisissement primitif d’une matière que le néophyte rangera volontiers dans les catégories honnies du stridulant et de l’assourdissant. Ingrates, ces sonorités aussi omnipotentes qu’extrêmes n’en sont pas moins riches en tessitures protéiformes qui varient au gré des spécificités propres à chaque outil de découpe mais aussi en fonction des manipulations exercées sur la pierre. Une pierre jaune, poreuse, friable et organique qui se constelle de fossiles de toutes sortes. Huîtres, coraux, osselets d'étoiles de mer… comme autant de vestiges de temps enfouis dont Guillaume Laidain s’attache à restituer avec poésie les découpes subies dans une pièce sonore où la monotonie cède la place aux voyages auditifs d’une scie exonérée de ses strates les plus acérées. Le prolongement de cette partition se matérialise sous la forme d’une installation qui réunit une constellation d’enceintes encastrées dans autant de morceaux de roches tranchées, semblables à des balises à partir desquelles l’auditeur vagabond déambule et compose sa propre aventure polyphonique.

Anna Maisonneuve

 

* Programme lancé en 2014 par le Ministère de la Culture et accompagné par les Directions régionales des affaires culturelles (Drac)

les pierres de frontenac
Drac Nouvelle-Aquitaine
Fabrique POLA
bottom of page